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VOYAGE EN ORIENT.

Les marchands offraient de les faire déshabiller, ils leur ouvraient les lèvres pour que l’on vît les dents, ils les faisaient marcher, et faisaient valoir surtout l’élasticité de leur poitrine. Ces pauvres filles se laissaient faire avec assez d’insouciance ; la plupart éclataient de rire presque continuellement, ce qui rendait la scène moins pénible. On comprenait, d’ailleurs, que toute condition était pour elles préférable au séjour de l’okel, et peut-être même à leur existence précédente dans leur pays.

Ne trouvant là que des négresses pures, je demandai au drogman si l’on n’y voyait pas d’Abyssiniennes.

— Oh ! me dit-il, on ne les fait pas voir publiquement ; il faut monter dans la maison, et que le marchand soit bien convaincu que vous ne venez pas ici par curiosité, comme la plupart des voyageurs. Du reste, elles sont beaucoup plus chères, et vous pourriez peut-être trouver quelque femme qui vous conviendrait parmi les esclaves du Dongola. Il y a d’autres okels que nous pouvons voir encore. Outre celui des Jellab, où nous sommes, il y a encore l’okel Kouchouk et le khan Ghafar.

Un marchand s’approcha de nous et me fit dire qu’il venait d’arriver des Éthiopiennes qu’on avait installées hors de la ville, afin de ne pas payer les droits d’entrée. Elles étaient dans la campagne, au delà de la porte Bab-el-Madbah. Je voulus d’abord voir celles-là.

Nous nous engageâmes dans un quartier assez désert, et, après beaucoup de détours, nous nous trouvâmes dans la plaine, c’est-à-dire au milieu des tombeaux, car ils entourent tout ce côté de la ville. Les monuments des califes étaient restés à notre gauche ; nous passions entre des collines poudreuses, couvertes de moulins et formées de débris d’anciens édifices, On arrêta les ânes à la porte d’une petite enceinte de murs, restes probablement d’une mosquée en ruine. Trois ou quatre Arabes, vêtus d’un costume étranger au Caire, nous firent entrer, et je me vis au milieu d’une sorte de tribu dont