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LES FEMMES DU CAIRE.

jusqu’à un certain point à la manière anglaise, et, du moment que l’on a rencontré un de ces aimables voyageurs, on est perdu, la société vous envahit.

Quoi qu’il en soit, j’ai fini par me décider à retrouver au fond de ma malle une lettre de recommandation pour notre consul général, qui habitait momentanément le Caire. Le soir même, je dinai chez lui sans accompagnement de gentlemen anglais ou autres. Il y avait là seulement le docteur Clot-Bey, dont la maison était voisine, et M. Lubbert, l’ancien directeur de l’Opéra, devenu historiographe du pacha d’Égypte.

Ces deux messieurs, ou, si vous voulez, ces deux effendis, c’est le titre de tout personnage distingué dans la science, dans les lettres ou dans les fonctions civiles, portaient avec aisance le costume oriental. La plaque étincelante du nichan décorait leur poitrine, et il eût été difficile de les distinguer des musulmans ordinaires. Les cheveux rasés, la barbe et ce hâle léger de la peau qu’on acquiert dans les pays chauds, transforment bien vite l’Européen en un Turc très-passable.

Je parcourus avec empressement les journaux français étalés sur le divan du consul. Faiblesse humaine ! lire les journaux dans le pays du papyrus et des hiéroglyphes ! ne pouvoir oublier, comme madame de Staël aux bords du Léman, le ruisseau de la rue du Bac !

L’Égypte ne possédait encore que deux journaux à elle, une sorte de Moniteur arabe, qui s’imprime à Boulaq, et le Phare d’Alexandrie. À l’époque de sa lutte contre la Porte, le pacha fit venir à grands frais un rédacteur français, qui lutta pendant quelques mois contre les journaux de Constantinople et de Smyrne. Le journal était une machine de guerre comme une autre ; sur ce point-là aussi, l’Égypte a désarmé ; ce qui ne l’empêche pas de recevoir encore souvent les bordées des feuilles publiques du Bosphore.

On s’entretint pendant le dîner d’une affaire qui était jugée très-grave et faisait grand bruit dans la société franque. Un pauvre diable de Français, un domestique, avait résolu de se