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LES FEMMES DU CAIRE.

teurs ; mais, pour de simples danseurs vêtus en femmes, on peut bien se priver de cette cérémonie en leur jetant quelques paras.

Sérieusement, la morale égyptienne est quelque chose de bien particulier. Il y a peu d’années, les danseuses parcouraient librement la ville, animaient les fêtes publiques et faisaient les délices des casinos et des cafés. Aujourd’hui, elles ne peuvent plus se montrer que dans les maisons et aux fêtes particulières, et les gens scrupuleux trouvent beaucoup plus convenables ces danses d’hommes aux traits efféminés, aux longs cheveux, dont les bras, la taille et le col nu parodient si déplorablement les attraits demi-voilés des danseuses.

J’ai parlé de ces dernières sous le nom à d’almées en cédant, pour être plus clair, au préjugé européen. Les danseuses s’appellent ghawasies ; les almées sont des chanteuses ; le pluriel de ce mot se prononce oualems. Quant aux danseurs autorisés par la morale musulmane, ils s’appellent khowals.

En sortant du café, je traversai de nouveau l’étroite rue qui conduit au bazar franc pour entrer dans l’impasse Waghorn et gagner le jardin de Rosette. Des marchands d’habits m’entourèrent, étalant sous mes yeux les plus riches costumes brodés, des ceintures de drap d’or, des armes incrustées d’argent, des tarbouchs garnis d’un flot soyeux à la mode de Constantinople, choses fort séduisantes qui excitent chez l’homme un sentiment de coquetterie tout féminin. Si j’avais pu me regarder dans les miroirs du café, qui n’existaient, hélas ! qu’en peinture, j’aurais pris plaisir à essayer quelques-uns de ces costumes ; mais assurément je ne veux pas tarder à prendre l’habit oriental. Avant tout, il faut songer encore à constituer mon intérieur.


IV — LE KHANOUN


Je rentrai chez moi plein de ces réflexions, ayant depuis longtemps renvoyé le drogman pour qu’il m’y attendît, car je commence à ne plus me perdre dans les rues ; je trouvai la maison pleine de monde. Il y avait d’abord des cuisiniers en-