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nait le vieux monarque, et que l’on pourrait appeler le parti des hommes gras. Abandonné à ses instincts, Louis-Philippe aurait tout sacrifié pour ces hommes qui lui donnaient une idée flatteuse de la prospérité publique. Comme César, qui n’aimait pas les maigres, il se méfiait des tempéraments nerveux comme celui de M. Thiers, ou bilieux comme M. Guizot. On les lui imposa, — et ils le perdirent… soit en le voulant, soit sans le vouloir. M. de Montalivet avait retrouvé le manuscrit énorme qui contenait mon avenir dramatique. Il me le tendit par dessus une table, et se privant avec bon sens de ces phrases banales que l’on prodigue trop légèrement aux auteurs, il me dit : « Reprenez votre pièce, faites-la jouer, et si elle cause quelque désordre, on la suspendra. » Je saluai et je sortis.

Si je ne savais pas, par des récits divers, que M. de Montalivet est un homme fort aimable dans les sociétés, je croirais avoir eu une entrevue avec M. de Pontchartrain.

La difficulté était de faire remonter la pièce, qui avait perdu une partie de ses acteurs primitifs. Il fallait attendre la fin d’un succès qui se soutenait au théâtre. L’été s’avançait ; Harel me dit : « J’attends un éléphant pour l’automne ; la pièce n’aura donc qu’un nombre limité de représentations. »

On la monta cependant avec les meilleurs acteurs de la troupe : Madame Mélingue, Raucour, Mélingue, Tournan et le bon Moëssard. Ils furent tous pleins de bienveillance et de sympathie pour moi, et surent tirer grand parti d’une pièce un peu excentrique pour le boulevard.

Seulement les répétitions se prolongèrent encore beaucoup. Un directeur n’est pas dans une très bonne position pécuniaire quand il attend un éléphant. Au cœur de la belle saison il comptait peu sur les recettes qu’il aurait pu recueillir si l’on eût joué la pièce à l’entrée de l’hiver. Une seule décoration nouvelle était indispensable, celle d’un tableau représentant des ruines éclairées par la lune, à Eisenach, près du château de la Wartburg.

J’avais rêvé cette décoration, — je l’ai vue en nature plus tard en quittant l’électorat de Hesse-Cassel pour me rendre à Leipsick.