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de déclarer propriété ; me voilà donc forcé, pendant six mois, de solliciter le visa du ministère de l’intérieur.

Il y avait là beaucoup d’anciens gens d’esprit, que cela amusait peut-être de faire promener un écrivain non sérieux. M. Véron, dont j’avais fait la connaissance dans un restaurant, me dit un jour : « Vous vous y prenez mal. Je vais vous donner une lettre pour la censure ; » et il me remit un billet où se trouvaient ces mots : « Je vous recommande un jeune auteur qui travaille dans nos journaux d’opposition constitutionnelle, et qui vous demande un visa, etc. » M. Véron, — dans le journal duquel j’ai en effet écrit quelques colonnes en l’honneur des grands philosophes du dix-huitième siècle, — ne m’en voudra pas de révéler ce détail, qui lui fait honneur.

De ce jour, toutes les portes s’ouvrirent pour moi, et l’on voulut bien me dire le motif qu’on avait pour arrêter ma pièce et pour me priver, pendant tout un rude hiver, de son produit.

On en jugeait le spectacle dangereux, à cause surtout d’un quatrième acte qui représentait avec trop de réalité, et sous des couleurs trop purement historiques, le tableau d’une vente de charbonnerie. — On m’eût loué de rendre les conspirateurs ridicules ; on ne voulait pas supporter l’équitable point de vue que m’avait donné l’étude de Shakespeare et de Gœthe, — si faible que pût être ma tentative.

M. de Monlalivet était ministre alors. Je ne pus pénétrer jusqu’à lui. Cependant, c’était sur ses décisions que les bureaux, très polis du reste et très bienveillants pour moi, rejetaient la responsabilité.

Les répétitions étaient suspendues toujours ; — Bocage, appelé par un engagement de province, avait laissé là le rôle, — dans lequel son talent eût été une fortune pour ce pauvre Harel et pour moi. Le printemps, saison peu avantageuse pour le théâtre, commençait à s’avancer. Je parlais de ma déconvenue à un écrivain politique, dans un de ces bureaux de journaux où la ligne qui sépare le premier-Paris du feuilleton est souvent oubliée pour ne laisser subsister que les relations d’hommes qui se voient habituellement.