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pas suffi ! mais chacun veut prendre une part de l’immortalité du héros. J’ai remarqué cette citation de Gœthe : « Ici je me sens homme ! ici j’ose l’être. » C’était un homme en effet que ce grand homme ; mais abrégeons. — Mon obligeant inconnu s’était retiré par discrétion, car on permet aux curieux de méditer dans cette maison et de se supposer un instant à la place du czar Pierre. Ouvrier et empereur, les deux bouts de cette échelle se valent en solidité, et il est impossible de réunir plus de noblesse à plus de grandeur. Pierre le Grand, c’est l’Émile de Rousseau idéalisé d’avance.

Je compris, en retrouvant l’inconnu à la porte et lui voyant un air embarrassé, qu’il obligeait ses amis à la manière de M. Jourdain : mais il s’y était pris spirituellement. J’offris de lui prêter un florin qu’il accepta sans difficulté.

« Maintenant, monsieur, voulez-vous venir voir Broëk ? cela ne coûte que quatre florins. — C’est trop. — Deux florins, et j’y perds. — Je n’y tiens pas. — Alors, monsieur, ce sera un florin… je fais ce sacrifice par amitié. » En effet, ce n’était pas cher ; il fallait une voiture pour franchir les deux lieues. On sait déjà par Gozlan que Broëk est un village dont tous les habitants sont immensément riches. Le plus pauvre, n’étant que millionnaire, a accepté les fonctions de gardien des portes et de garde-champêtre à ses moments perdus. La vérité est que les