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si durement la charrette du Roman comique. On marche longtemps encore à travers les diverses fortifications, puis on suit une chaussée d’une demi-lieue, et quand on a vu disparaître enfin derrière soi la ville tout entière, qui n’est plus indiquée à l’horizon que par le doigt de pierre de son clocher, quand on a traversé un premier bras du Rhin, large comme la Seine, et une île verte de peupliers et de bouleaux, alors on voit couler à ses pieds le grand fleuve, rapide et frémissant, et portant dans ses lames grisâtres une tempête éternelle. Mais de l’autre côté, là-bas à l’horizon, au bout du pont mouvant de soixante bateaux, savez-vous ce qu’il y a ?… Il y a l’Allemagne ! la terre de Gœthe et de Schiller, le pays d’Hoffmann ; la vieille Allemagne, notre mère à tous !… Teutonia.

N’est-ce pas là de quoi hésiter avant de poser le pied sur ce pont qui serpente, et dont chaque barque est un anneau ; l’Allemagne au bout ? Et voilà encore une illusion, encore un rêve, encore une vision lumineuse qui va disparaître sans retour de ce bel univers magique que nous avait créé la poésie !… Là, tout se trouvait réuni, et tout plus beau, tout plus grand, plus riche et plus vrai peut-être que les œuvres de la nature et de l’art. Le microcosmos du docteur Faust nous apparaît à tous au sortir du berceau ; mais, à chaque pas que nous faisons dans le monde réel, ce monde fantastique perd un de ses