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heures. Le travail lui devenait impossible, il lui fallut rester au lit. Loiseau travaillait pour tous deux ; mais leurs ressources ne tardèrent pas à s’épuiser. L’infortuné demeurait au cinquième, chez un fruitier, qui en même temps était afficheur. Un grabat, deux chaises, une table boiteuse, un vieux coffre, tel était son mobilier. Il recevait le jour par une chatière garnie de deux carreaux de papier huilé. Les planches de la cloison qui séparait son réduit de celui de Loiseau étaient couvertes d’affiches de théâtre posées par le fruitier pour en clore les interstices, et le malade n’avait d’autre distraction que de lire là Mérope, là Alcyone, là cette Bohémienne où il avait admiré Mme Favart, ailleurs la Gouvernante, où Mlle Hus était si médiocre, mais si jolie ; puis encore les Dehors trompeurs, qui lui rappelaient la belle Guéant, ou Arlequin sauvage, drame singulier où brillait une certaine Coraline dont les traits avaient quelque rapport avec ceux de… Zéfire. Tout à coup la porte s’ouvre, le fruitier avance la tête, et dit à Nicolas :

— C’est votre cousine qui demande à vous voir.

— Je n’ai pas de cousine à Paris, dit Nicolas.

— Vous voyez bien, mademoiselle, dit le fruitier en se retournant, que c’est un prétexte… On ne reçoit pas de femmes mises comme vous dans la maison.

— Mais je vous dis que c’est mon cousin Nicolas, répondit une voix flûtée, puisque j’arrive du pays.

— Oh ! c’est que vous êtes bien pimpante, et lui ne l’est guère…

Enfin l’interlocutrice se glissa sous le bras du fruitier et pénétra dans la chambre :

— Oh ! quelle misère !… Mais, monsieur, il se meurt, dit-elle vivement au fruitier.

En effet, l’étouffement avait repris depuis un instant.

— Quel est le plus pressé ? dit la jeune fille d’un ton résolu. Voilà de l’argent.

Et elle donna des pièces d’or.

— Le plus pressé, dit le fruitier adouci, serait un bouillon.