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guille et la reporter en arrière ! mais on ne ferait que déranger l’horloge apparente, et l’heure éternelle marche toujours.

Ce jour-là même, M. Parangon et le prote assistaient à un banquet de francs-maçons ; Nicolas devait donc dîner seul avec la femme de l’imprimeur. Il n’osait se mettre à table. Mme Parangon lui dit d’une voix légèrement altérée :

— Placez-vous.

Nicolas s’assit à sa place ordinaire.

— Mettez-vous en face de moi, dit Mme Parangon, puisque nous ne sommes que deux.

Elle le servit. Il gardait le silence et portait lentement les morceaux à sa bouche.

— Mangez, puisque vous êtes à table, dit la dame. À quoi rêvez-vous ?

— À rien, madame.

— Étiez-vous à la grand’messe ?

— Oui, madame.

— Avez-vous eu du pain bénit ?

— Non, madame, je me trouvais derrière le chœur, où l’on n’en distribue pas.

— En voici un morceau.

Et elle le lui montra sur un plat d’argent, mais il fallut encore qu’elle le lui donnât.

— Vous êtes dans vos réflexions ? ajouta-t-elle.

— Oui, madame…

Et, sentant tout à coup l’inconvenance de sa réponse, il reprit un peu de courage ; il se souvint que ce jour était justement celui de la naissance de Mme Parangon.

— Je songeais, dit-il, que c’est aujourd’hui une fête… Aussi je voudrais bien avoir un bouquet à vous présenter ; mais je n’ai que mon cœur, qui déjà est à vous.

Elle sourit et dit :

— Le désir me suffit.

Nicolas s’était levé, s’approchant de la fenêtre, il regardait vers le ciel.