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— Eh bien ! causons encore un peu, dit Marguerite après avoir résisté vainement.

— Je veux vous montrer, dit ce dernier, comment il a embrassé sa femme.

— Ah ! monsieur Nicolas, c’est un péché ! s’écria Marguerite, qui n’avait pu se défendre de cette surprise. Et Jeannette, que dirait-elle, si elle vous voyait ?

— Jeannette ! oh ! oui, Marguerite…, vous avez raison ; mais je ne sais pourquoi ma pensée est à elle, et c’est vous cependant qui m’agitez le cœur si fort que je ne puis respirer…

— Allons-nous-en, mon fils, dit la gouvernante avec douceur et d’un ton si digne, avec un accent si attendri, que Nicolas crut entendre sa mère.

En la faisant monter sur l’âne, il ne la toucha plus qu’avec une sorte d’effroi, et ce fut alors Marguerite qui lui donna un chaste baiser sur le front.

Elle semblait réfléchir profondément, comme saisie d’une impression douloureuse et rompit enfin le silence.

— Prenez garde, monsieur Nicolas, dit-elle, à cette âme brûlante qui s’épanche vers tout ce qui vous entoure ! Vous êtes enclin à pécher, comme l’était M. Polvé, mon oncle, chez qui je fus élevée. Les passions mal réprimées mènent plus loin qu’on ne pense ; dans l’âge mûr, elles se fortifient, et la vieillesse même n’en défend pas les âmes viciées ; alors, elles revêtent une brutalité qui fait horreur, même à la personne aimée. Mon oncle fut ainsi cause de tous mes malheurs, et quoiqu’il combattît de tous ses efforts l’amour coupable qu’il avait conçu pour moi, il ne pouvait se défendre d’une jalousie stérile qui le conduisit à refuser la demande que M. Rousseau avait faite de moi. Il lui déclara qu’il ne voulait pas que je me mariasse, qu’il se proposait de me faire religieuse, et, pour être plus sûr de me rendre cette union impossible, il en arrangea lui-même une autre, de concert avec les parents de M. Rousseau, de sorte que ce dernier finit par épouser celle… qui depuis lui a donné…