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plus aimable, il ne croit pas que l’homme soit obligé d’avoir toujours son Dieu devant les yeux pour trembler à chaque action, à chaque acte de volonté ; mais, moins propre à la réflexion, tolérant, superficiel, il arrive à l’indifférence plus souvent encore que l’autre n’arrive à l’impiété.

Cependant un changement se préparait dans la situation des jansénistes de Bicêtre. L’archevêque Gigot de Bellefond, qui les protégeait, étant venu à mourir, fut remplacé par Christophe de Beaumont. Celui-ci nomma un nouveau recteur qui, dès le jour de son installation, regarda de travers le maître des enfants de chœur et les gouverneurs jansénistes. Cet intrus était un homme fougueux, plein de dispositions hostiles ; il demanda à voir la bibliothèque, et fronça le sourcil en apercevant les livres de controverse que l’abbé Thomas n’avait pas cherché à cacher, se faisant gloire de ses sentiments. Le recteur s’écria que de tels livres ne devaient pas se trouver dans une bibliothèque d’enfants.

— On ne peut trop tôt connaître la vérité, répondit l’abbé Thomas.

— Simple clerc tonsuré, vous voulez nous enseigner la religion ! dit le recteur.

Le maître humilié se tut. Les élèves jouissaient de cette scène avec l’impitoyable malignité de l’enfance. De livres en livres, le recteur tomba sur le Nouveau Testament annoté par Quesnel.

— Pour celui-ci, dit-il, c’est aller contre le jugement spécial de l’Église !

Et il le jeta à terre avec horreur. Le pauvre abbé Thomas le ramassa humblement et baisa la place.

— Songez-vous, dit-il, monsieur, que le texte de l’Évangile y est tout entier ?

Le recteur, plus irrité encore, voulut emporter tous les Nouveaux Testaments des élèves. L’abbé Thomas éleva alors la voix :

— Ô mon Dieu ! s’écria-t-il, on ôte la parole à vos enfants !