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ces enfantillages que pour signaler la teinte mystique des premières idées du rêveur[1]. Cependant, il fallait avoir des témoins de cet acte religieux. C’est à midi que les bêtes de trait sont conduites au pâturage après les travaux de la matinée. Nicolas attendit cette heure et appela par ses cris les bergers qui passaient au loin. Aussitôt accoururent les compagnons ordinaires de ses jeux et les jolies Marie Fouare et Madeleine Piat.

— Venez, venez, disait Nicolas, je vais vous montrer mon vallon, mon poirier, et aussi mon sanglier et ma huppe.

Mais ces animaux se gardèrent bien de se rendre aux vœux du propriétaire. Nicolas exposa à la troupe ses droits de premier occupant, constatée par sa pyramide et son autel. On les reconnut pour inviolables. Dès lors commença la cérémonie ; on alluma du bois sec où l’on jeta les entrailles de l’oiseau, selon le rite patriarcal ; puis Nicolas posa le corps sur un petit bûcher et improvisa une prière qui fut accompagnée de quelques versets des psaumes. Il se tenait debout, très-grave et pénétré de la grandeur de son action ; ensuite, il distribua aux assistants les chairs rôties de l’oiseau dont il mangea le premier, et qui étaient détestables. Les trois chiens seuls se régalèrent avec joie des reliefs de cette cuisine sacerdotale.

Qui eût pu prévoir que ce scrupuleux propriétaire deviendrait l’un des plus fervent communistes dont les doctrines aient enflammé l’époque révolutionnaire. Toutefois ses prétentions avaient trouvé des jaloux parmi les pâtres de Sacy ; car le secret fut dévoilé, le sacrifice fut traité d’abominable profanation des choses saintes, et l’abbé Thomas, frère du premier lit de Nicolas, qui demeurait à quelques lieues de Sacy, se rendit exprès à la Bretonne pour donner le fouet au jeune hérétique ; l’abbé motiva le fait de cette correction sur ce qu’ayant été le parrain du coupable, il répondait indirectement de ses péchés.

  1. Il est curieux de trouver, en effet, dans les premières années de Restif ce trait d’un sacrifice à l’Éternel, qui rappelle un récit analogue de Gœthe, devenu comme lui panthéiste plus tard.