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Les porte-clefs arrivèrent, et l’abbé de Bucquoy et son compagnon jetèrent à leur tour les hauts cris sur leur chute, due au peu de solidité du plafond.

On les remit dans leur chambre, et ils purent à temps faire disparaître les échelles de cordes cachées sous les carreaux, ainsi que la ferraille nécessaire à l’évasion ; seulement, un jour, ils virent venir un menuisier qui devait faire un guichet à la porte… L’abbé demanda les raisons de ce travail, et on lui répondit que l’on pratiquait ce guichet pour pouvoir donner à manger au jésuite fou que l’on mettrait là. Quant à eux, ils devaient être transportés dans une chambre plus belle… Ce n’était pas là le compte des deux amis, qui étaient parvenus à scier leurs barreaux et que leurs préparatifs assuraient d’un succès prochain.

L’abbé demanda à voir le gouverneur, et lui dit qu’il se plaisait dans sa chambre, et qu’en outre, si l’on voulait le séparer du baron de Peken, la conversion de ce dernier deviendrait impossible, attendu qu’il n’avait confiance qu’en ses exhortations amicales. Le gouverneur fut inflexible : et l’abbé, en rentrant, avertit l’Allemand de ce qui s’était passé.

Il lui conseilla alors de feindre une grande mélancolie de quitter le logement, et de faire semblant de se tuer. Le baron fit si bien semblant, qu’au lieu de se tirer un peu de sang, il se coupa les veines des bras, de sorte que l’abbé, effrayé de voir couler tant de sang, appela au secours. Les sentinelles avertirent le corps de garde, et le gouverneur vint lui-même, manifestant beaucoup de pitié.

La raison principale de cette conduite était que, depuis quelque temps déjà, il avait reçu l’ordre de mettre le baron en liberté… Mais, pour gagner encore sur sa pension, il prolongeait le plus possible sa captivité.

Après cette aventure, l’abbé de Bucquoy fut transporté non au cachot, mais dans un de ces étages des tours qu’on appelait calottes. Des prisonniers précédents s’étaient avisés de peindre les murs de cette chambre en y traçant des figures effrayantes,