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VI

LA TOUR DU COIN

La société était assez choisie au troisième étage de la tour du Coin. C’était là qu’on plaçait les favoris du gouverneur. Il y avait, outre Renneville et l’abbé, un gentilhomme allemand nommé le baron de Peken, arrêté pour avoir dit « que le roi ne voyait qu’au travers des lunettes de madame de Maintenon ; » puis un nommé de Falourdet, compromis dans une affaire relative à de faux titres de noblesse ; ensuite un ancien soldat nommé Jacob le Berthon, accusé d’avoir chanté des chansons grivoises où le nom de la maîtresse du roi n’était pas respecté.

Renneville le plaignait beaucoup d’être détenu pour un si petit sujet, et disait que la Maintenon aurait dû suivre l’exemple de la reine Catherine de Médicis, qui, ouvrant un jour sa fenêtre du Louvre, vit au bord de la Seine des soldats qui faisaient rôtir une oie, et en charmaient l’attente en répétant une chanson dirigée contre elle-même. Elle se borna à leur crier : « Pourquoi dites-vous du mal de cette pauvre reine Catherine, qui ne vous en fait aucun ? C’est pourtant grâce à son argent que vous rôtissez cette oie ! » Le roi de Navarre, qui était en ce moment près d’elle, voulait descendre pour châtier ces bélitres, et elle lui dit : « Restez ici ; cela se passe trop au-dessous de nous. »

Il y avait encore là un abbé italien nommé Papasaredo.

Quand on apporta le souper, Corbé, selon l’usage, accompagna le service, et demanda si quelqu’un avait à se plaindre.

— Je me plains, s’écria l’abbé Papasaredo, de ce que la compagnie devient trop nombreuse, et s’est accrue d’un second abbé… J’aimerais mieux des femmes ! et il n’en manque pas ici que l’on peut faire venir.

— C’est entièrement contre les règlements, dit Corbé.