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ce qui me donna un mauvais augure… Corbé, son neveu, arriva en papillonnant, et me parla de ses prouesses en Hollande… et des succès qu’il avait eus plus tard dans les courses de taureaux à Madrid, où les dames, admirant sa bravoure, lui jetaient des œufs remplis d’eau de senteur. Le déjeuner fini, le gouverneur me dit :

» — Usez de moi comme vous voudrez.

» Et il ajouta, parlant à son neveu :

» — Il faut conduire notre bote au pavillon des princes…

— Vous étiez en grande estime près du gouverneur ! dit en soupirant l’abbé de Bucquoy.

— Le pavillon des princes, vous pouvez le voir d’ici… c’est au rez-de-chaussée. Les fenêtres sont garnies de contrevents verts. Seulement, il y a cinq portes à traverser pour arriver à la chambre. Je l’ai trouvée triste, quoiqu’il y eut une paillasse sur le lit, un matelas, et autour de l’alcôve une pente en brocatelle assez fraîche ; plus encore, trois fauteuils recouverts en bougran.

— Je ne suis pas si bien logé ! dit l’abbé de Bucquoy.

— Aussi je ne me plaignais que de manquer de serviettes et de draps, lorsque je vis arriver le porte-clefs Ru avec du linge, des couvertures, des vases, des chandeliers et tout ce qu’il fallait pour que je pusse m’établir honnêtement dans ce pavillon.

» Le soir était venu. On m’envoya encore deux garçons de la cantine guidés par Corbé, qui m’apportait le dîner.

» Il se composait : d’une soupe aux pois verts garnie de laitues et bien mitonnée, avec un quartier de volaille au-dessus, une tranche de bœuf, un godiveau et une langue de mouton… Pour le dessert, un biscuit et des pommes de reinette… Vin de Bourgogne.

— Mais je me contenterais de cet ordinaire, dit l’abbé.

— Corbé me salua et me dit :

» — Payez-vous votre nourriture, ou en serez-vous redevable au roi ?