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avait entendu déjà cette parole dans ce siècle : « Dieu seul est grand, mes frères ! »

Nous perdons aussi le fruit d’une tournée dans le pays de Bade, où nous pouvions indiquer la délicieuse figure de la grande margrave Sibylle, qui, pendant que son fils guerroyait contre les Turcs, était devenue une seconde Marguerite de Navarre. Son château de la Favorite rappelle aussi les souvenirs de la renaissance, et l’on y admire surtout dans son boudoir cent cinquante figures découpées ou plutôt peintes sur les glaces, qui la représentent sous autant de travestissements de carnaval.

Quelle suite de tableaux variés, de paysages et de descriptions, on eût pu trouver en peignant l’accueil que la grande margrave aurait fait à l’abbé de Bucquoy et à sa cousine. Puis on eût entrevu Villars menaçant au loin, brûlant les châteaux, reportant la guerre sur le Danube et ramenant enfin à la Bastille le malheureux comte de Bucquoy, forcé de redevenir un simple abbé.

Voilà ce que perdent les lecteurs. L’histoire pure et simple d’un pauvre prisonnier pourra-t-elle compenser de tels éléments d’intérêt ?.. Il nous a semblé curieux néanmoins de démontrer la machine que nous n’avons pu donner entière, d’en montrer les ressorts et les rouages, l’anatomie si l’on veut. Quelquefois, on prend plaisir à visiter les coulisses, les foyers et les trucs d’un théâtre… Les secrets de la composition d’un roman historique prémédité et devenu impossible viennent d’apparaître à tous les yeux !

V

L’ENFER DES VIVANTS

Il y avait huit tours à la Bastille, dont chacune avait son nom et se composait de six étages éclairés chacun d’une seule fenêtre. Une grille au dehors, une grille au dedans laissaient