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Et ne serait-ce pas là un moyen d’expliquer ce grand désespoir d’amour qui, à l’exemple de l’abbé de Rancé, son supérieur, l’aurait conduit à se jeter à la Trappe ; car, après tout, les motifs de cette résolution ont toujours été fort obscurs.

Comment, illuminé tout à coup d’un éclair, s’était-il écrié : « J’adore le Dieu de saint Paul ! » faut-il l’attribuer à la seule conviction ? Mais il avait d’abord quitté les Chartreux, puis la Trappe, où il ne se trouvait pas assez solitaire, et ne renonça à vivre comme un saint que parce que, malgré mille efforts de contemplation, il n’avait pu réussir à faire des miracles. Ceci était d’un homme qui voit juste, car, dans ce cas, à quoi bon être saint ?

On dira : « Mais cet amour, ce désespoir, ces divers changements d’état, tout cela est trop vague pour devenir un sujet de roman ; là, la passion doit dominer. » Et si dans ce vieux château où les faux saulniers se cachent, en effrayant le voisinage par des récits et apparitions fantastiques, — car c’était assez leur coutume, comme on le voit par l’histoire de Mandrin ; — si, dans ce vieux château, on lui fait retrouver la jeune fille qu’il avait aimée et qui, fugitive avec sa famille, traquée de retraite en retraite, se trouvait là, sous l’abri de bandes révoltées, attendant une occasion pour passer en Allemagne ; si les convictions catholiques de l’abbé se trouvaient en lutte avec son amour pour une protestante ; si le château, cerné par les archers de Louis XIV, était sommé de se rendre ; si l’on ajoutait à cela une rivalité ; si l’on voyait se dessiner au centre de l’action l’ironique et majestueuse figure du capitaine Roland, soit comme protecteur, soit comme ennemi, douterait-on encore de la possibilité d’un tel roman ?

Malheureusement, ce genre nous est interdit ; retombons dans la froide réalité.

Les faux saulniers, qui avaient tenté, par un motif quelconque, de faire évader le comte abbé de Bucquoy, trouvèrent le chemin barré au delà de l’Aisne. On en prit un grand nombre,