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l’eau, et les paroles qu’il prononça sur la Providence qui l’avait abandonné dans son dessein, donnèrent à penser que c’était un ministre calviniste échappé des Cévennes : on l’envoya donc à Soissons, dont la prison était plus sûre que celle de la Fère.

Soissons est une ville très-intéressante pour qui la voit en liberté. La prison était alors située entre l’évêché et l’église Saint-Jean ; elle s’adossait, du côté du nord, aux fortifications de la ville.

L’abbé de Bucquoy fut mis dans une tour avec un Anglais fait prisonnier dans l’expédition de Ham. Le porte-clefs qui faisait leur cuisine, permettait à l’abbé, qui toujours feignait d’être malade, comme il avait fait au For-l’Evêque, de prendre l’air le soir au sommet de la tour où il était enfermé. Cet homme avait un accent bourguignon, que l’abbé reconnut pour l’avoir entendu près de Sens.

Un soir, ce porte-clefs lui dit :

— Monsieur l’abbé, il fera beau ce soir sur le donjon à voir les étoiles.

L’abbé le regarda, mais ne vit qu’une figure indifférente.

Sur le donjon, il faisait du brouillard.

L’abbé redescendit et trouva ouverte la porte du mur de ronde. Une sentinelle le parcourait à pas égaux. Il se retirait, lorsque le soldat, passant près de lui, dit à voix basse :

— L’abbé, il fait bien beau ce soir… Promenez-vous ici un peu : qui est-ce qui vous apercevrait dans le brouillard ?

L’abbé de Bucquoy ne vit là que la complaisance d’un brave militaire qui suspend la consigne en faveur d’un pauvre prisonnier.

Au bout de la terrasse, il sentit une corde, et sa main, en la soulevant, trouva un crochet et des nœuds.

La sentinelle avait le dos tourné ; l’abbé, qui savait tous les exercices, descendit en s’aidant de la sellette à la manière des peintres en bâtiment.

Il se trouva dans le fossé, qui était à sec et plein d’herbes.