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— M. le comte ferait mieux de rester dans la voiture, qu’on a étayée.

— Allons donc !… J’entre au cabaret, je suis sûr que je n’y trouverai que de bonnes gens…

Archambault de Bucquoy entra dans la cuisine et demanda de la soupe…

Il voulait premièrement goûter le bouillon.

L’hôtesse se prêta à cette exigence. Mais Archambault, l’ayant trouvé trop salé, dit :

— On voit bien que le sel est à bon marché ici.

— Pas trop, dit l’hôtesse.

— Je suppose que les faux saulniers en ont amené ici l’abondance.

— Je ne connais pas ces gens-là… Du moins, ils n’oseraient venir ici… Les troupes de Sa Majesté viennent de les défaire, et toutes leurs bandes ont été taillées en pièces, à l’exception d’une trentaine de charretiers, qui ont été menés, chargés de fers, dans les prisons.

— Ah ! dit Archambault de Butquoy, voilà des pauvres diables bien attrapés… S’ils avaient eu un homme comme moi à leur tête, leurs affaires seraient en meilleure posture !

Il se rendit de la cuisine dans le cabaret, où l’on vidait des bouteilles d’un certain petit cru qui ne se serait pas conservé ailleurs ni plus tard.

Archambault de Bucquoy prit place à une table, où l’on ne tarda pas à lui apporter sa soupe, et il continua à la trouver trop salée. On sait la haine des Bourguignons contre ce terme, qui se renouvelle depuis le xve siècle, où la plus grosse injure était de les appeler : Bourguignons salés.

L’inconnu dut s’expliquer.

— Je veux dire, répondit-il, que l’on ne ménage pas le sel dans les mets que l’on sert ici… Ce qui prouve que le sel n’est pas rare dans la province…

— Vous avez raison, dit un homme d’une force colossale, qui se leva du milieu des buveurs, et qui lui frappa sur l’é-