Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous le voile des idées religieuses, soit sous la forme évidente des jacqueries, des ligues et des frondes.

La révocation de l’édit de Nantes avait été le grand coup frappé contre les dernières résistances. Villars venait de triompher du soulèvement des Cévennes, et ceux des Camisards qui avaient échappé aux massacres s’en allaient par bandes rejoindre en Allemagne le million d’exilés qui avaient été contraints de porter à l’étranger les débris de leur fortune et les diverses industries où excellaient beaucoup des protestants.

On avait brûlé le Palatinat, leur principal refuge : « Ce sont là jeux de princes. » Le soleil du grand siècle pouvait encore se mirer à l’aise dans les bassins de Versailles ; mais il pâlissait sensiblement. Madame de Maintenon elle-même ne luttait plus contre le temps : elle s’appliquait seulement à infuser la dévotion dans l’âme d’un roi sceptique, qui lui répondait par des chiffres apportés chaque jour par Chamillard :

— Trois milliards de dettes !… que peut faire à cela la Providence ?

Louis XIV n’était pas un homme ordinaire ; on peut croire même qu’il aimait la France et voulait sa grandeur. Sa personnalité, doublée de l’esprit de famille, l’a perdu à l’époque où l’âge affaiblissait ses forces, et où son entourage arrivait à dominer sa volonté.

Quelque temps après la perte de la bataille d’Hochstett, qui nous enlevait cent lieues de pays dans les Flandres, Archambault de Bucquoy passait à Morchandgy, petit village de la Bourgogne, situé à deux lieues de Sens.

D’où venait-il ? On ne le sait pas trop…

Où allait-il ? Nous le verrons plus tard…

Une roue de sa voiture s’étant cassée, le charron du village demandait une heure pour en poser une nouvelle. Le comte dit à son domestique :

— Je ne vois que ce cabaret d’ouvert… Tu viendras m’avertir quand le charron aura fini.