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trée. Les hautes tours sont démolies, mais l’emplacement se dessine encore sur ce point élevé, où l’on a planté des allées de tilleuls servant de promenade, au point même où se trouvaient les entrées et les cours. Des charmilles d’épine-vinette et de belladone empêchent toute chute dans l’abîme que forment encore les fossés. Un tir a été établi pour les archers dans un des fossés qui se rapprochent de la ville.

Sylvain est retourné dans son pays ; j’ai continué ma route vers Soissons à travers la forêt de Villers-Cotterets, entièrement dépouillée de feuilles, mais reverdie çà et là par des plantations de pins qui occupent aujourd’hui les vastes espaces des coupes sombres pratiquées naguère. Le soir, j’arrivai à Soissons, la vieille Augusta Suessonium, où se décida le sort de la nation française au vie siècle.

On sait que c’est après la bataille de Soissons, gagnée par Clovis, que ce chef des Francs subit l’humiliation de ne pouvoir garder un vase d’or, produit du pillage de Reims. Peut-être songeait-il déjà à faire sa paix avec l’Église, en lui rendant un objet saint et précieux. Ce fut alors qu’un de ses guerriers voulut que ce vase entrât dans le partage, car l’égalité était le principe fondamental de ces tribus franques, originaires d’Asie. — Le vase d’or fut brisé, et, plus tard, la tête du Franc égalitaire eut le même sort, sous la francisque de son chef. Telle fut l’origine de nos monarchies.

Soissons, ville forte de seconde classe, renferme de curieuses antiquités, La cathédrale a sa haute tour, d’où l’on découvre sept lieues de pays ; un beau tableau de Rubens, derrière son maître-autel. L’ancienne cathédrale est beaucoup plus curieuse, avec ses clochers festonnés et découpés en guipure. Il n’en reste que la façade et les tours, malheureusement. Il y a encore une autre église qu’on restaure avec cette belle pierre et ce béton romain, qui font l’orgueil de la contrée. Je me suis entretenu là avec les tailleurs de pierre, qui déjeunaient autour d’un feu de bruyère et qui m’ont paru très-forts sur l’histoire de l’art. Ils regrettaient, comme moi, qu’on ne res-