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J’avais vainement, vous le savez, cherché le livre à Paris. Les bibliothèques publiques ne le possédaient pas. Les libraires spéciaux ne l’avaient point vu depuis longtemps. Un seul, M. Toulouse, m’avait été indiqué comme pouvant le posséder.

M. Toulouse a la spécialité des livres de controverse religieuse. Il m’a interrogé sur la nature de l’ouvrage ; puis il m’a dit :

— Monsieur, je ne l’ai point… Mais, si je l’avais, peut-être ne vous le vendrais-je pas.

J’ai compris que, vendant des livres à des ecclésiastiques, il ne se souciait pas d’avoir affaire à un fils de Voltaire.

Je lui ai répondu que je m’en passerais bien, ayant déjà des notions générales sur le personnage dont il s’agissait.

— Voilà pourtant comme on écrit l’histoire ! m’a-t-il répondu[1].

Vous me direz que j’aurais pu me faire communiquer l’Histoire de l’abbé de Bucquoy par quelques-uns de ces bibliophiles qui subsistent encore, tels M. de Montmerqué et autres. À quoi je répondrai qu’un bibliophile sérieux ne communique pas ses livres. Lui-même ne les lit pas, de crainte de les fatiguer.

Un bibliophile connu avait un ami ; cet ami était devenu amoureux d’un Anacréon in-16, édition lyonnaise du xvie siècle, augmentée des poésies de Bion, de Moschus et de Sapho. Le possesseur du livre n’eût pas défendu sa femme aussi fortement que son in-16. Presque toujours son ami, venant déjeuner chez lui, traversait indifféremment la bibliothèque ; mais il jetait à la dérobée un regard sur l’Anacréon.

Un jour, il dit à son ami :

— Qu’est-ce que tu fais de cet in-16 mal relié… et coupé ? Je te donnerai volontiers le Voyage de Polyphile en ita-

  1. M. Toulouse, rue du Foin-Saint-Jacques, en face la caserne des gendarmes.