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sages d’un réalisme inconnu jusqu’alors. Et le pauvre ouvrier fut reçu de plain-pied dans cette compagnie des beaux noms, des beaux esprits et des belles impures du temps. Il ne tenait qu’à lui de faire son chemin dans le monde désormais. — Pourtant, tout ce qu’il avait dit était la vérité ; il se regardait comme descendant de l’empereur Pertinax, et il venait de raconter ses amours pour une femme qui était morte quelques mois auparavant. — Comme c’était un cœur qui ne pouvait rester vide, l’amour idéal et tout poétique conçu pour Mlle Guéant l’avait peu à peu consolé de l’autre, dont l’impression était pourtant encore bien vive.

On donne une fin bizarre à ce souper, un dénouement assez usité alors du reste dans ces sortes de médianoches. À un signal donné, les lumières s’éteignirent, et une sorte de colin-maillard commença dans l’obscurité ; c’était, à ce qu’on croit, le but final de la fête, du moins pour les initiés, qui n’étaient point partis avec le commun des invités. Chacun avait le droit de reconduire la dame dont il s’était saisi dans l’ombre pendant cet instant de tumulte. Les amants en titre s’arrangeaient pour se reconnaître ; mais une fois fait, même au hasard, le choix devenait sacré. Nicolas, qui ne s’y attendait pas, sentit une main qui prenait la sienne et qui l’entraîna pendant quelques pas ; alors, on lui remit une autre main douce et frémissante : c’était celle de Mlle Guéant, qui le pria de la reconduire. Pendant qu’il descendait par un escalier dérobé correspondant à la cour, il entendit Junie qui s’écria :

— Je me sacrifie, je vais consoler le colonel.

II

CE QUE C’ÉTAIT QUE NICOLAS

Trente ans plus tard, le même personnage, connu alors sous son nom patronymique de Restif, auquel il avait ajouté