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Je comprends ce système, si favorable aux préparations d’un récit… Aussi, je ne voyage jamais dans ces contrées sans me faire accompagner d’un ami, que j’appellerai, de son petit nom, Sylvain.

C’est un nom très-commun dans cette province, le féminin est le gracieux nom de Sylvie, illustré par un bouquet du bois de Chantilly, dans lequel allait rêver si souvent le poète Théophile de Viau.

C’est un garçon — je veux dire un homme, car il ne faut pas trop nous rajeunir ! — qui a toujours mené une vie assez sauvage, comme son nom. Il vit de je ne sais quoi dans des maisons qu’il se bâtit lui-même, à la manière des cyclopes, avec ces grès de la contrée qui apparaissent à fleur de sol entre les pins et les bruyères. L’été, sa maison de grès lui semble trop chaude, et il se construit des huttes en feuillage au milieu des bois. Un petit revenu qu’il a de quelques morceaux de terre lui procure une certaine considération près des gardes, auxquels il paye quelquefois à boire. On l’a souvent suspecté de braconnage ; mais le fait n’a jamais pu être démontré. C’est donc un homme que l’on peut voir. Du reste, s’il n’a pas de profession bien définie, il a des idées sur tout comme plusieurs gens de ce pays, où l’on a, dit-on, inventé jadis les tournebroches. — Lui, s’est essayé plusieurs fois à composer des montres ou des boussoles. Ce qui le gêne dans la montre, c’est la chaîne qui ne peut se prolonger assez… Ce qui le gêne dans la boussole, c’est que cela fait seulement reconnaître que l’aimant polaire du globe attire forcément les aiguilles ; mais que, sur le reste, sur la cause et les moyens de s’en servir, les documents sont imparfaits.

J’ai dit à Sylvain :

— Allons-nous à Chantilly ?

Il m’a répondu :

— Non… Tu as dit toi-même hier qu’il fallait aller à Ermenonville pour gagner de là Soissons, visiter ensuite les