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Quant au caractère des pères de la province que je parcours, il a été éternellement le même si j’en crois les légendes que j’ai entendu chanter dans ma jeunesse. C’est un mélange de rudesse et de bonhomie tout patriarcal. Voici une des chansons que j’ai pu recueillir dans ce vieux pays de l’Île-de-France, qui, du Parisis, s’étend jusqu’aux confins lie la Picardie.

Le duc Loys est sur son pont[1] *
Tenant sa fille en son giron.
Elle lui demande un cavalier…
Qui n’a pas vaillant six deniers !
............................................
— Oh ! oui, mon père, je l’aurai
Malgré ma mère qui m’a porté.
Aussi malgré tous mes parents
Et vous, mon père… que j’aime tant !

C’est le caractère des filles, dans cette contrée ; — le père, qui n’a pas moins de résolution, répond :

— Ma fille, il faut changer d’amour,
Ou vous entrerez dans la tour…

Réplique de la demoiselle :

— J’aime mieux rester dans la tour.
Mon père, que de changer d’amour !

Le père reprend :

— Vite !… où sont mes estafiers,
Aussi bien que mes gens de pied ?
Qu’on mène ma fille à la tour ;
Elle n’y verra jamais le jour !

L’auteur de la romance ajoute :

Elle y resta sept ans passés
Sans que personne pût la trouver :

  1. Je ne comprends pas ce vers, et je le renvoie aux paléographes.