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Ce qui indique suffisamment que le soldat n’a pas bien fini… Notre affaire a eu un dénoûment moins grave. Aussi, avions-nous répondu très-honnêtement qu’on ne prenait pas d’ordinaire de passe-port pour visiter la grande banlieue de Paris. Le brigadier avait salué sans faire d’observation.

Nous avions parlé à l’hôtel d’un dessein vague d’aller à Ermenonville. Puis, le temps étant devenu mauvais, l’idée a changé, et nous sommes allés retenir nos places à la voiture de Chantilly, qui nous rapprochait de Paris.

Au moment de partir, nous voyons arriver un commissaire orné de deux gendarmes qui nous dit :

— Vos papiers ?

Nous répétons ce que nous avions déjà dit.

— Eh bien, messieurs, dit ce fonctionnaire, vous êtes en état d’arrestation.

Mon ami le Breton fronçait le sourcil, ce qui aggravait notre situation.

Je lui ai dit :

— Calme-toi. Je suis presque un diplomate… J’ai vu de près, à l’étranger, des rois, des pachas et même des padischas, et je sais comment on parle aux autorités. — Monsieur le commissaire, dis-je alors (parce qu’il faut toujours donner leurs titres aux personnes), j’ai fait trois voyages en Angleterre, et l’on ne m’a jamais demandé de passe-port que pour obtenir le droit de sortir de France… Je reviens d’Allemagne, où j’ai traversé dix pays souverains, y compris la Hesse ; on ne m’a pas même demandé mon passe-port en Prusse.

— Eh bien, je vous le demande en France.

— Vous savez que les malfaiteurs ont toujours des papiers en règle…

— Pas toujours…

Je m’inclinai.

— J’ai vécu sept ans dans ce pays ; j’y ai même quelques restes de propriétés…

— Mais vous n’avez pas de papiers ?