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aurore, laquelle m’a toujours mis en pleine lumière, et dans l’absence de laquelle je suis perpétuellement accompagné d’un cercle de ténèbres, dont le désir d’en sortir, et celui de vous revoir, ma belle, m’a obligé, comme ne pouvant vivre sans vous voir, de retourner avec tant de promptitude, afin de me ranger à l’ombre de vos belles perfections, l’aimant desquelles m’a entièrement dérobé le cœur et l’âme ; larcin toutefois que je révère en ce qu’il m’a élevé en un lieu si saint et si redoutable, et lequel je veux adorer toute ma vie avec tant de zèle et de fidélité que vous êtes parfaite. »


Cette lettre ne porta pas bonheur au pauvre jeune homme qui l’avait écrite. En essayant de la glisser à Angélique, il fut surpris par le père, et mourait, à quatre jours de là, tué l’on ne dit pas comment.

Le déchirement que cette mort fit éprouver à Angélique lui révéla l’amour. Deux ans entiers, elle pleura. Au bout de ce temps, ne voyant, dit-elle, d’autre remède à sa douleur que la mort ou une autre affection, elle supplia son père de la mener dans le monde. Parmi tant de seigneurs qu’elle y rencontrerait, elle trouverait bien, pensait-elle, quelqu’un à mettre en son esprit à la place de ce mort éternel.

Le comte d’Haraucourt ne se rendit pas, selon toute apparence, aux prières de sa fille ; car, parmi les personnes qui s’éprirent d’amour pour elle, nous ne voyons que des officiers domestiques de la maison paternelle. Deux, entre autres, M. de Saint-Georges, gentilhomme du comte, et Fargue, son valet de chambre, trouvèrent, dans cette passion commune pour la fille de leur maître, une occasion de rivalité qui eut un dénoûment tragique. Fargue, jaloux de la supériorité de son rival, avait tenu quelques discours sur son compte. M. de Saint-Georges l’apprend, appelle Fargue, lui remontre sa faute, et lui donne, en fin de compte, tant de coups de plat d’épée, que son arme en reste tordue. Plein de fureur, Fargue parcourt l’hôtel, cherchant une épée. Il rencontre le baron d’Ha-