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J’allai trouver M. Schayé, qui me dit :

— Vous avez raison : ils sont dans une position fausse. Nous allons leur envoyer du papier timbré.

Le lendemain, je reçus une lettre qui m’accordait une audience du ministre de l’intérieur…, à cinq heures du soir.

Le ministre me reçut entre deux portes et me dit :

— Je n’ai pu encore lire votre manuscrit ; je l’emporte à la campagne. Revenez, je vous prie, après-demain, à la même heure.

Je fus obligé de prendre mon tour pour l’audience. J’attendis longtemps, et il était tard lorsque je fus introduit. Mais que ne ferait pas un auteur pour sauver sa pièce et la tirer des griffes du ministre ?

Le ministre m’adressa un salut froid et chercha mon manuscrit dans ses papiers. N’ayant alors jamais vu de près un ministre, j’examinai la figure belle mais un peu fatiguée de M. de Montalivet. Il appartenait à cette école politique qu’affectionnait le vieux monarque et que l’on pourrait appeler le parti des hommes gras. Abandonné à ses instincts, Louis-Philippe aurait tout sacrifié pour ces hommes qui lui donnaient une idée flatteuse de la prospérité publique. Comme César, qui n’aimait pas les maigres, il se méfiait des tempéraments nerveux comme celui de M. Thiers, ou bilieux comme celui de M. Guizot. On les lui imposa, — et ils le perdirent… soit en le voulant, soit sans le vouloir. M. de Montalivet avait retrouvé le manuscrit énorme qui contenait mon avenir dramatique. Il me le tendit par-dessus une table, et, se privant avec bon sens de ces phrases banales que l’on prodigue trop légèrement aux auteurs, il me dit :

— Reprenez votre pièce, faites la jouer, et, si elle cause quelque désordre, on la suspendra.

Je saluai et je sortis.

Si je ne savais pas, par des récits divers, que M. de Montalivet est un homme fort aimable dans les sociétés, je croirais