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ou un rédacteur en chef entièrement illettré. Cela est devenu rare aujourd’hui…, mais cela s’est vu.

Me voilà donc, ayant éprouvé, comme nous tous, le malheur qui résulte d’une profession qui n’en est pas une, et d’une propriété que, selon le mot d’Alphonse Karr, on a toujours négligé de déclarer propriété ; me voilà donc forcé, pendant six mois, de solliciter le visa du ministère de l’intérieur, et, par conséquent, de me mettre en rapport avec ses hôtes.

Il y avait là beaucoup d’anciens, gens d’esprit, que cela amusait fort de faire promener un écrivain non sérieux. M. Véron, dont j’avais fait la connaissance dans un restaurant, me dit un jour :

— Vous vous y prenez mal. Je vais vous donner une lettre pour la censure.

Et il me remit un billet où se trouvaient ces mots : « Je vous recommande un jeune auteur qui travaille dans nos journaux d’opposition constitutionnelle, et qui sollicite de vous un visa, etc. » M. Véron, dans le journal duquel j’ai, en effet, écrit quelques colonnes en l’honneur des grands philosophes du xviiie siècle, ne m’en voudra pas de révéler ce détail, qui lui fait honneur.

De ce jour, toutes les portes s’ouvrirent pour moi, et l’on voulut bien me dire le motif qu’on avait pour arrêter ma pièce et pour me priver, pendant tout un rude hiver, de son produit.

On en jugeait le spectacle dangereux, à cause surtout d’un quatrième acte qui représentait avec trop de réalité, et sous des couleurs trop purement historiques, le tableau d’une vente de charbonnerie. On m’eût loué de rendre les conspirateurs ridicules ; on ne voulait pas supporter l’équitable point de vue que m’avait donné l’étude de Shakspeare et de Gœthe, — si faible que pût être mon imitation.

La pièce, il est vrai, concluait contre l’assassinat politique, mais en montrant l’impossibilité, pour un homme de cœur, de soutenir les idées arriérées d’une cour.