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mélangé d’alsacien et de charabia, qui est commun à certains régiments.

Excité par un coup de baguette du maître, le phoque avait déjà fait plusieurs tours dans l’eau. Le sergent n’avait jeté dans la cuve que le coup d’œil dédaigneux d’un homme qui a vu beaucoup de poissons savants.

le sergent. — Ça n’est pas toi que tu te tournerais comme cela dans l’eau de la merrr.

le fusilier. — Je m’y retournerais tout de même si l’eau n’était pas si froide ou si j’avais un paletot en poil comme le poisson.

le sergent. — Qu’est-ce que tu dis d’un paletot en poil qu’il a, le poisson ?

le fusilier. — Tâtez, sergent.

Le sergent s’apprête à tâter.

— N’y touchez pas ! dit le maître du phoque… Il est féroce quand il n’a pas mangé…

le sergent, avec dédain. — J’en ai vu en Algerrr des poissons, qu’ils étaient deux et trois fois plus longs ; il est vrai de dire qu’ils n’avaient pas de poils, mais des écailles… Je ne crois pas même qu’il y en ait de ceux-là en Afrique !

le maître. — Faites excuse, sergent ; celui-ci a été pris au cap Vert.

le sergent. — Alors, s’il a été pris au cap Verrrt… c’est différent… Mais je crois que les hommes qui ont retiré ce poisson de la merrr… ont dû avoir du mal !…

le maître. — Oh ! sergent, je vous en réponds. C’était moi et mon frère… Il n’y faisait pas bon à le toucher.

le sergent, au fusilier. — Tu vois que c’était bien véritable, ce que je t’avais dit[1].

le fusilier, étourdi par le raisonnement, mais avec résignation : — C’est vrai tout de même, sergent.

  1. Ici, le sergent parle en vertu du principe qui veut que le supérieur ait toujours le dernier mot.