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En rentrant dans sa cabine le pêcheur soupirait de la perte de son compagnon. Le phoque, revenu plus vite, l’attendait en se séchant devant le feu !

On supporta encore la misère quelques jours ; puis, troublé par les cris de détresse de ses enfants, le pêcheur prit une plus forte résolution.

Il alla fort loin, cette fois, et précipita le phoque dans la haute mer, loin des côtes.

Le phoque essaya, à plusieurs reprises, avec ses nageoires, qui ont la forme d’une main, de s’accrocher au bordage. Le pécheur, exaspéré, lui appliqua un coup de rame qui lui cassa une nageoire. Le phoque poussa un cri plaintif presque humain, et disparut dans l’eau teinte de son sang.

Le pêcheur revint chez lui le cœur navré. — Le phoque n’était plus au coin de la cheminée, cette fois.

Seulement, la nuit même, le pêcheur entendit des cris dans la rue. Il crut qu’on assassinait quelqu’un et sortit pour porter secours.

Sur le pas de la porte, il trouva le phoque qui s’était traîné jusqu’à la maison, et qui criait lamentablement, en levant au ciel sa nageoire saignante.

On le recueillit, on le pansa, et l’on ne songea plus à l’exiler de la famille ; car, de ce moment, la pêche était devenue meilleure.


Cette légende ne vous paraîtra sans doute pas dangereuse : il ne s’y trouve pas un mot d’amour.

Mais je suis embarrassé pour vous raconter ce que j’ai entendu dans l’établissement où l’on montre le phoque, à Versailles. Vous jugerez du danger que ce récit peut présenter.

Je fus étonné, au premier abord, de ne pas retrouver celui que j’avais vu l’année passée. Celui que l’on montre aujourd’hui est d’une autre couleur, et plus gros.

Il y avait là deux militaires du camp de Satory, un sergent et un fusilier, qui exprimaient leur admiration dans ce langage