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se rangea en belle ordonnance sur la place ; les lansquenets, les arquebusiers et les Suisses garnissaient les rues voisines. M. de Bassompierre était près du roi, et sur la poitrine de Henri II brillaient les diamants de tous les ordres souverains de l’Europe. Le peuple consterné n’était plus retenu que par sa propre masse qui encombrait toutes les issues : plusieurs criaient au miracle, car il y avait bien là devant eux deux rois de France ; pâles l’un comme l’autre, fiers tous les deux, vêtus à peu près de même ; seulement, le bon roi brillait moins.

Au premier mouvement des cavaliers vers la foule, la fuite fut générale, tandis que Spifame et Vignet faisaient seuls bonne contenance sur le bizarre échafaudage où ils se trouvaient placés ; les soldats et les sergents se saisirent d’eux facilement.

L’impression que produisit sur le pauvre fou l’aspect de Henri lui-même, lorsqu’il fut amené devant lui, fut si forte qu’il retomba aussitôt dans une de ses fièvres les plus furieuses, pendant laquelle il confondait comme autrefois ses deux existences de Henri et de Spifame, et ne pouvait s’y reconnaître, quoi qu’il fît. Le roi, qui fut informé bientôt de toute l’aventure, prit pitié de ce malheureux seigneur, et le fit transporter d’abord au Louvre, ou les premiers soins lui furent donnés, et où il excita longtemps la curiosité des deux cours, et, il faut le dire, leur servit parfois d’amusement.

Le roi, ayant remarqué d’ailleurs combien la folie de Spifame était douce et toujours respectueuse envers lui, ne voulut pas qu’il fût renvoyé dans cette maison de fous où l’image parfaite du roi se trouvait parfois exposée à de mauvais traitements ou aux railleries des visiteurs et des valets. Il commanda que Spifame fût gardé dans un de ses châteaux de plaisance, par des serviteurs commis à cet effet, qui avaient ordre de le traiter comme un véritable prince et de l’appeler Sire et Majesté. Claude Vignet lui fut donné pour compagnie, comme par le passé, et ses poésies, ainsi que les ordonnances nouvelles que Spifame composait encore dans sa retraite, étaient imprimées et conservées par les ordres du roi.