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IV

L’ÉVASION

Après nombre d’édits et d’appels à la fidélité de la bonne ville de Paris, les deux prisonniers s’étonnèrent enfin de ne voir poindre aucune émotion populaire, et de se réveiller toujours dans la même situation. Spifame attribua ce peu de succès à la surveillance des ministres, et Vignet à la haine constante de Mellin et de du Bellay. L’imprimerie fut fermée quelques jours ; on rêva à des résolutions plus sérieuses, on médita des coups d’État. Ces deux hommes qui n’eussent jamais songé à se rendre libres pour être libres, ourdirent enfin un plan d’évasion tendant à dessiller les yeux des Parisiens et à les provoquer au mépris de la Sophonisbe de Saint-Gelais et de la Franciade de Ronsard.

Ils se mirent à desceller les barreaux par le bas, lentement, mais faisant disparaître à mesure toutes les traces de leur travail, et cela fut d’autant plus aisé qu’on les connaissait tranquilles, patients et heureux de leur destinée. Les préparatifs terminés, l’imprimerie fut rouverte, les libelles de quatre lignes, les proclamations incendiaires, les poésies privilégiées firent partie du bagage, et, vers minuit, Spifame ayant adressé une courte mais vigoureuse allocution à son confident, ce dernier attacha les draps du prince à un barreau resté intact, y glissa le premier, et releva bientôt Spifame qui, aux deux tiers de la descente, s’était laissé tomber dans l’herbe épaisse, non sans contusions. Vignet ne tarda pas dans l’ombre à trouver le vieux mur qui donnait sur la campagne ; plus agile que Spifame, il parvint à en gagner la crête, et tendit de là sa jambe à son gracieux souverain, qui s’en aida beaucoup, appuyant le pied au reste des pierres descellées du mur. Un instant après le Rubicon était franchi.