Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

madame la duchesse, vous serez conduite à l’échafaud, vous et beaucoup d’autres dames avec vous, dans la charrette du bourreau, et les mains derrière le dos.

— Ah ! j’espère que, dans ce cas-là, j’aurai du moins un carrosse drapé de noir.

— Non, madame, de plus grandes dames que vous iront comme vous en charrette, et les mains liées comme vous.

— De plus grandes dames ! quoi ! les princesses du sang ?

De plus grandes dames encore…

Ici un mouvement très-sensible se fit dans toute la compagnie, et la figure du maître se rembrunit. On commençait à trouver que la plaisanterie était forte.

Madame de Grammont, pour dissiper le nuage, n’insista pas sur cette dernière réponse, et se contenta de dire, du ton le plus léger :

Vous verrez qu’il ne me laissera pas seulement un confesseur !

Non, madame, vous n’en aurez pas, ni personne. Le dernier supplicié, qui en aura un par grâce, sera

Il s’arrêta un moment.

— Eh bien, quel est donc l’heureux mortel qui aura cette prérogative ?

— C’est la seule qui lui restera : et ce sera le roi de France.

Le maître de la maison se leva brusquement, et tout le monde avec lui. Il alla vers M. Cazotte, et lui dit, avec un ton pénétré :

— Mon cher monsieur Cazotte, c’est assez faire durer cette facétie lugubre ; vous la poussez trop loin, et jusqu’à compromettre la société où vous êtes, et vous-même.

Cazotte ne répondit rien, et se disposait à se retirer, quand madame de Grammont, qui voulait toujours éviter le sérieux et ramener la gaieté, s’avança vers lui.

— Monsieur le prophète, qui nous dites à tous notre bonne aventure, vous ne dites rien de la vôtre.