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— Voyez-vous, monsieur, quoique je ne sois qu’un misérable carabin, je n’ai pas plus de religion qu’un autre.

On en conclut que la révolution ne tardera pas à se consommer ; il faut absolument que la superstition et le fanatisme fassent place à la philosophie, et l’on en est à calculer la probabilité de l’époque, et quels seront ceux de la société qui verront le règne de la raison. Les plus vieux se plaignent de ne pouvoir s’en flatter ; les jeunes se réjouissent d’en avoir une espérance très-vraisemblable ; et l’on félicitait surtout l’Académie d’avoir préparé le grand œuvre, et d’avoir été le chef-lieu, le centre, le mobile de la liberté de penser.

Un seul des convives n’avait point pris part à toute la joie de cette conversation, et avait même laissé tomber tout doucement quelques plaisanteries sur notre bel enthousiasme : c’était Cazotte, homme aimable et original, mais malheureusement infatué des rêveries des illuminés. Son héroïsme l’a depuis rendu à jamais illustre.

Il prend la parole, et, du ton le plus sérieux :

— Messieurs, dit-il, soyez satisfaits ; vous verrez tous cette grande et sublime révolution que vous désirez tant. Vous savez que je suis un peu prophète ; je vous répète, vous la verrez.

On lui répond par le refrain connu :

— Faut pas être grand sorcier pour ça !

— Soit ; mais peut-être faut-il l’être un peu plus pour ce qui me reste à vous dire. Savez-vous ce qui arrivera de cette révolution, ce qui en arrivera pour vous, tant que vous êtes ici, et ce qui en sera la suite immédiate, l’effet bien prouvé, la conséquence bien reconnue ?

— Ah ! voyons, dit Condorcet avec son air sournois et niais ; un philosophe n’est pas fâché de rencontrer un prophète.

Vous, monsieur de Condorcet, vous expirerez étendu sur le pavé d’un cachot ; vous mourrez du poison que vous aurez pris pour vous dérober au bourreau, du poison que le bonheur de ce temps-là vous forcera de porter toujours sur vous.

Grand étonnement d’abord ; mais on se rappelle que le bon