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qui se rapprochaient de celles des initiations antiques, il les subit avec courage et en sortit pour ainsi dire transformé : ce n’était plus l’auteur spirituel et frivole de tant de charmants contes, de tant de jolis vers qui lui avaient valu l’applaudissement des salons ; c’était dès lors un penseur sombre et sérieux, un écrivain morose et inquiet, plein de pressentiments funèbres. Il savait désormais sa destinée et celle de la France, il avait lu dans l’avenir.

Le présent, à cette époque, c’était la folle insouciance des dernières années de la monarchie ; l’avenir, c’était la Révolution et le règne de la Terreur.

L’école de Lyon, à laquelle appartenait dès lors Cazotte, professait d’après Martinez, que l’intelligence et la volonté sont les seules forces actives de la nature, d’où il suit que, pour en modifier les phénomènes, il suffit de commander fortement et de vouloir. Elle ajoutait que, par la contemplation de ses propres idées et l’abstraction de tout ce qui tient au monde extérieur et au corps, l’homme pouvait s’élever à la notion parfaite de l’essence universelle et à cette domination des esprits dont le secret était contenu dans la Triple contrainte de l’enfer, conjuration toute-puissante à l’usage des cabalistes du moyen âge.

Martinez, qui avait couvert la France de loges maçonniques selon son rite, était allé mourir à Saint-Domingue ; la doctrine ne put se conserver pure, et se modifia bientôt en admettant les idées de Swedenborg et de Jacob Boehm, qu’on eut de la peine à réunir dans le même symbole. Le célèbre Saint-Martin, l’un des néophytes les plus ardents et les plus jeunes, se rattacha particulièrement aux principes de ce dernier. À cette époque, l’école de Lyon s’était fondue déjà dans la société des philalèthes, où Saint-Martin refusa d’entrer, disant qu’ils s’occupaient plus de la science des âmes, d’après Swedenborg, que de celle des esprits, d’après Martinez. Cazotte s’en retira à son tour, parce que leurs opérations prenaient une tendance politique contraire à ses sympathies religieuses et monarchiques.

Plus tard, l’illustre théosophe Saint-Martin, parlant de son