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— Et vous n’êtes pas même franc-maçon ?

— Pas même cela.

— Eh bien, monsieur, soit par pénétration, soit par hasard, vous avez pénétré des secrets qui ne sont accessibles qu’aux initiés de premier ordre, et peut-être serait-il prudent désormais de vous abstenir de pareilles révélations.

— Quoi ! j’aurais fait cela ! s’écria Cazotte effrayé ; moi qui ne songeais qu’à divertir le public et à prouver seulement qu’il fallait prendre garde au diable !

— Et qui vous dit que notre science ait quelque rapport avec cet esprit des ténèbres ? Telle est pourtant la conclusion de votre dangereux ouvrage. Je vous ai pris pour un frère infidèle qui trahissait nos secrets par un motif que j’étais curieux de connaître… Et, puisque vous n’êtes, en effet, qu’un profane ignorant de notre but suprême, je vous instruirai, je vous ferai pénétrer plus avant dans les mystères de ce monde des esprits qui nous presse de toutes parts, et qui, par l’intuition seule, s’est déjà révélé à vous.

Cette conversation se prolongea longtemps ; les biographes varient sur les termes, mais tous s’accordent à signaler la subite révolution qui se fit dès lors dans les idées de Cazotte, adepte sans le savoir d’une doctrine dont il ignorait qu’il existât encore des représentants. Il avoua qu’il s’était montré sévère, dans son Diable amoureux, pour les cabalistes, dont il ne concevait qu’une idée fort vague, et que leurs pratiques n’étaient peut-être pas aussi condamnables qu’il l’avait supposé. Il s’accusa même d’avoir un peu calomnié ces innocents esprits qui peuplent et animent la région moyenne de l’air, en leur assimilant la personnalité douteuse d’un lutin femelle qui répond au nom de Belzébuth.

— Songez, lui dit l’initié, que le père Kircher, l’abbé de Villars et bien d’autres casuistes ont démontré depuis longtemps la parfaite innocence de ces esprits au point de vue chrétien. Les Capitulaires de Charlemagne en faisaient mention comme d’êtres appartenant à la hiérarchie céleste ; Platon et