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et de leur cœur ; ils jouaient leur rôle au sérieux, comme ces comédiens antiques qui tachaient la scène d’un sang véritable pour les plaisirs du peuple roi. Mais qui se serait attendu, dans ce siècle d’incrédulité où le clergé lui-même a si peu défendu ses croyances, à rencontrer un poëte que l’amour du merveilleux purement allégorique entraîne peu à peu au mysticisme le plus sincère et le plus ardent ?

Les livres traitant de la cabale et des sciences occultes inondaient alors les bibliothèques ; les plus bizarres spéculations du moyen âge ressuscitaient sous une forme spirituelle et légère, propre à concilier à ces idées rajeunies la faveur d’un public frivole, à demi impie, à demi crédule, comme celui des derniers âges de la Grèce et de Rome. L’abbé de Villars, dom Pernetty, le marquis d’Argens, popularisaient les mystères de l’Œdipus Ægyptiacus et les savantes rêveries des néoplatoniciens de Florence. Pic de la Mirandole et Marsile Ficin renaissaient tout empreints de l’esprit musqué du xviiie siècle, dans le Comte de Gabalis, les Lettres cabalistiques et autres productions de philosophie transcendante à la portée des salons.

À l’époque où parut le Diable amoureux, le surnaturel, ou, comme disent les Allemands, le supernaturalisme était à la mode ; on ne parlait dans la société que d’esprits élémentaires, de sympathies occultes, de charmes, de migration des âmes, d’alchimie et de magnétisme surtout. Le nouveau roman répondait à toutes ces idées, que l’on a essayé de renouveler depuis quelque temps. L’héroïne de ce livre n’est autre qu’un de ces lutins bizarres que l’on peut voir décrits à l’article Incube ou Succube, dans le Monde enchanté, de Bekker.

Le rôle un peu noir que l’auteur y fait jouer en définitive à la charmante Biondetta, suffirait à indiquer qu’il n’était pas encore initié, à cette époque, aux mystères des cabalistes ou des illuminés, lesquels ont toujours soigneusement distingué les esprits élémentaires, sylphes, gnomes, ondins ou salamandres, des noirs suppôts de Belzébuth. Le Diable amoureux, un des meilleurs ouvrages de la langue française, illustré de dessins