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On entend traîner des ferrailles,
On voit des feux, on voit du sang couler,
Tout à la fois.
De très-sinistres voix
Qui vous glacent le cœur.
Hélas ! ma bonne, hélas ! que j’ai grand’peur !


Sire Enguerrand, brave chevalier qui revient d’Espagne, veut loger en passant dans ce terrible château. On lui fait de grands récits des esprits qui l’habitent ; mais il en rit, se fait débotter, servir à souper, et fait mettre des draps à un lit. À minuit commence le tapage annoncé par les bonnes gens. Des bruits terribles font trembler les murailles, une nuée infernale flambe sur les lambris ; en même temps, un grand vent souffle et les battants des portes s’ouvrent avec rumeur.

Un damné, en proie aux démons, traverse la salle en jetant des cris de désespoir.


Sa bouche était toute écumeuse,
Le plomb fondu lui découlait des yeux…

Une ombre toute échevelée
Va lui plongeant un poignard dans le cœur ;
Avec une épaisse fumée
Le sang en sort si noir qu’il fait horreur.
Hélas ! ma bonne, hélas ! que j’ai grand’peur !


Enguerrand demande à ces tristes personnages le motif de leurs tourments.

— Seigneur, répond la femme armée d’un poignard, je suis née dans ce château ; j’étais la fille du comte Anselme. Ce monstre que vous voyez, et que le ciel m’oblige à torturer, était aumônier de mon père et s’éprit de moi pour mon malheur. Il oublia les devoirs de son état, et, ne pouvant me séduire, il invoqua le diable et se donna à lui pour en obtenir une faveur. Tous les matins, j’allais au bois prendre le frais et me baigner dans l’eau pure d’un ruisseau.


Là, tout auprès de la fontaine,
Certaine rose aux yeux faisait plaisir ;