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XX

LA VIEILLESSE DU ROMANCIER

À cette époque, Restif de la Bretonne passait une partie de ses journées au Palais-Royal, où s’était établie une sorte de bourse qui devenait le thermomètre de la valeur des assignats. Tous les jours il voyait sa fortune fondre et espérait en vain un retour favorable : — les derniers volumes des Nuits de Paris sont pleins d’imprécations contre les agioteurs qui faisaient monter l’or à des prix fabuleux et anéantissaient les richesses en papier de la République ; — puis il allait passer ses soirées au Caveau, car ses ressources ne lui permettaient plus le café Manoury. Lorsque, par une réaction rare, l’assignat avait haussé dans la journée, il emmenait quelques femmes de moyenne vertu souper à la Grotte flamande, où l’on se permettait encore quelques orgies à bon marché. Ses chagrins affaiblissaient parfois son esprit, toujours enthousiaste, et dans chaque jolie personne au pied fin et à la chaussure élégante, il croyait retrouver une de ses filles, produit des bonnes fortunes si nombreuses de sa jeunesse. Il est probable qu’on abusait souvent de cette monomanie paternelle pour obtenir de lui des cadeaux ou des soupers.

Peu communicatif ou très-prudent sur les matières politiques, il ne courut pas de dangers pendant l’époque de la Terreur. Les hommes lui importaient peu et l’ambition des partis lui répugnait. Ce qu’il voyait se passer à cette époque ne répondait nullement à ses rêves. Personne ne songeait au communisme ; parmi les jacobins tout au plus, on voulait le partage des biens, c’est-à-dire une autre forme de la propriété, — la propriété morcelée, populaire. — Quant au panthéisme, qui donc y pensait, sinon un petit nombre d’illuminés ?… On était généralement athée. La fête donnée par Robespierre à l’Être