Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paysan bourguignon qui, pendant son sommeil, fut transporté dans le palais de son duc, et s’y réveilla entouré de soins et d’honneurs, comme s’il fût le prince lui-même. Toutes les nuits, Spifame était le véritable roi Henri II ; il siégeait au Louvre, il chevauchait devant les armées, tenait de grands conseils, ou présidait à des banquets splendides. Alors, quelquefois, il se rappelait un avocat du palais, seigneur des Granges, pour lequel il ressentait une vive affection. L’aurore ne revenait pas sans que cet avocat n’eût obtenu quelque éclatant témoignage d’amitié et d’estime : tantôt le mortier du président, tantôt le sceau de l’État ou quelque cordon de ses ordres. Spifame avait la conviction que ses rêves étaient sa vie et que sa prison n’était qu’un rêve ; car on sait qu’il répétait souvent le soir :

— Nous avons bien mal dormi cette nuit ; oh ! les fâcheux songes !

On a toujours pensé depuis, en recueillant les détails de cette existence singulière, que l’infortuné était victime d’une de ces fascinations magnétiques dont la science se rend mieux compte aujourd’hui. Tout semblable d’apparence au roi, reflet de cet autre lui-même et confondu par cette similitude dont chacun fut émerveillé, Spifame, en plongeant son regard dans celui du prince, y puisa tout à coup la conscience d’une seconde personnalité ; c’est pourquoi, après s’être assimilé par le regard, il s’identifia au roi dans la pensée, et se figura désormais être celui qui, le seizième jour de juin 1549, était entré dans la ville de Paris, par la porte Saint-Denis, parée de très-belles et riches tapisseries, avec un tel bruit et tonnerre d’artillerie que toutes maisons en tremblaient. Il ne fut pas fâché non plus d’avoir privé de leur office les sieurs Liget, François de Saint-André et Antoine Ménard, présidents au parlement de Paris. C’était une petite dette d’amitié que Henri payait à Spifame.

Nous avons relevé avec intérêt tous les singuliers périodes de cette folie, qui ne peuvent être indifférents pour cette science des phénomènes de l’âme, si creusée par les philosophes, et qui