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obtenir le succès matériel du Paysan perverti, fit grand honneur à Restif de la Bretonne auprès du public sérieux. Il décrit là avec simplicité et avec charme l’existence paisible et les vertus modestes d’un honnête homme dont il avoue qu’il aurait dû suivre l’exemple. Deux portraits de son père Edme Restif et de sa mère Barbe Bertrot illustrent cet ouvrage, où l’auteur manifeste pour la vertu et la pureté des mœurs les regrets que l’ange déchu put concevoir du paradis.

Un livre amer, douloureux, plein de rage et de désespoir succéda à cette idylle domestique ; la Malédiction paternelle, livre où se révèle peut-être le triste souvenir de quelque drame de famille, contient l’histoire de Zéfire, premier échelon de la décadence morale de l’écrivain. La Découverte australe et l’Andrographe, ouvrage philosophique où l’utopie tient une grande place, se rattachent à cette dernière période de la vie littéraire de Restif, pendant laquelle il lui arriva d’écrire quatre-vingt-cinq volumes en six ans. Restif eut le malheur à cette époque de perdre un ami précieux qui l’avait souvent aidé de sa bourse, et qui, comme censeur, le protégeait dans la publication de ses ouvrages. Cet homme, qui s’appelait Mairobert, s’ennuyait de la vie. Résolu à mourir, il eut la bonne idée de parafer d’avance plusieurs des ouvrages de Restif. Ce dernier vint les retirer et lui conta ses chagrins de ménage et de fortune. En même temps il enviait le sort de Mairobert, jeune, riche et en grand crédit.

— Que de gens, lui répondit ce dernier, que l’on croirait heureux et qui sont au désespoir !

Le surlendemain, Restif apprit que son protecteur s’était coupé les veines dans un bain et s’était achevé d’un coup de pistolet.

— Me voilà seul ! s’écrie Restif dans le Drame de la Vie, après avoir rapporté cette fin douloureuse. Ô Dieu ! comme le sort me poursuit ! Cet homme allait me donner une existence… Retombons dans le néant !

Cependant un autre ami riche, nommé Bultel-Dumont, rem-