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tune ; il est mort au moment d’en jouir. » On voit, par ce passage, à quel point en était alors la librairie française. Le Pornogaphe et le Mimographe avaient rapporté peu de chose à Restif, par suite d’un système d’association peu productif que l’écrivain tenta avec un ouvrier qui lui avançait quelques fonds. La Fille naturelle et les Lettres d’une fille à son père, publiées par Lejay, n’avaient guère eu de plus brillants résultats. Un roman imité de Quévédo, intitulé le Fin Matois, avait été payé en billets dépourvus de toute valeur. On voit dans ce roman Restif osciller entre les diverses tendances étrangères qui dominaient les écrivains de son temps, avant de prendre son aplomb définitif dans le Paysan perverti.

Restif, ayant reçu quelque argent de son héritage paternel, put faire les frais du Paysan perverti, que le libraire Delalain avait refusé d’acheter. La première édition fut enlevée en six semaines, et la deuxième en vingt jours. La troisième se vendit plus lentement à cause des contrefaçons ; mais le succès hors de France fut tel, qu’il s’en publia jusqu’à quarante-deux éditions en Angleterre seulement. La peinture des mœurs françaises a, de tout temps, intéressé les étrangers plus que la France même. L’ouvrage fut d’abord attribué à Diderot, ce qui fit naître une foule de réclamations. On suspendit la vente ; cependant, au moyen d’un présent au censeur Demaroles, Restif obtint mainlevée sous la condition de faire imprimer quelques cartons aux endroits signalés comme dangereux.

La Paysanne pervertie parut trois ans après le Paysan, puis les deux ouvrages furent fondus ensemble sous le titre du Paysan-Paysanne. Ici se développent nettement les idées du réformateur mêlées aux combinaisons dramatiques du romancier. Il faut bien, à ce propos, parler du système général de philosophie et de morale qu’avait conçu l’auteur, et qu’il développa plus tard dans quelques livres spéciaux. Il en attribue la conception première aux entretiens qu’il eut, du temps de son apprentissage, avec le cordelier Gaudet d’Arras. La science de ce dernier suppléait à ce qui manquait de ce côté