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mes amies que tu as pu voir avec moi, car elle travaille chez la même marchande de modes… Mlle Charpentier.

— Je l’ai vue ; elle est charmante.

— Et elle est si bonne !… mais, en vérité, je n’ose te dire…

— Quoi donc ? Parle vite, ma charmante enfant !

— Je crains si fort d’être indiscrète… Mon amie a perdu sa mère qui, après une longue maladie, ne lui a laissé que des dettes… Que je voudrais être riche pour la pouvoir obliger !… Il ne faudrait, quant à présent, qu’un louis pour la tirer du plus grand embarras !… Elle le rendrait dans six semaines.

— Un louis ! rien qu’un louis ? s’écria Nicolas.

Et il alla chercher un gros étui d’où il en tira deux, qu’il mit dans la main blanche de Sara en y ajoutant un baiser.

— Oh ! qu’elle sera heureuse ! dit Sara.

Et elle se précipita joyeuse dans l’escalier.

De ce jour, Nicolas renonça à tous ses projets de solitude. La répugnance qu’il avait conçue pour la veuve Léeman, d’après les aveux de sa fille, céda bientôt devant le désir de la voir plus souvent ; il cultiva l’amitié de M. Florimond en flattant ses goûts aristocratiques, et celle de la veuve en s’invitant lui-même chez elle à des soupers qu’il faisait venir de chez le traiteur ; il avait soin même d’y ajouter toujours quelque grosse volaille qui reparaissait pendant les jours suivants sur la table de l’avare Mme Léeman.

Nous avons dit que c’était seulement les dimanches que Sara pouvait venir rendre visite à Nicolas. Le reste de la semaine, elle demeurait dans la maison où elle faisait son apprentissage. Le lendemain lundi, on entendit un grand bruit dans l’escalier.

— Vous êtes, une effrontée, criait Mme Léeman à sa fille.

— Si je ne le suis pas, ce n’est pas votre faute, répondait cette dernière.

— Attends, insolente, attends !…

Et Nicolas descendit aux cris de Sara.