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comme la généalogie des Pertinax… Quant à la personne que j’ai aimée, elle vous ressemblait, elle avait beaucoup du moins de vos traits et de votre sourire, et rien ne peut me consoler de sa perte sinon de vous admirer.

Alors ce fut une tempête d’applaudissements. Quelques enthousiastes ne craignirent pas d’affirmer qu’on avait affaire à un romancier plus brillant que Prévost d’Exiles, plus tendre que d’Arnaud, plus sérieux que Crébillon fils, avec des passages d’un réalisme inconnu jusqu’alors. Et le pauvre ouvrier fut reçu de plain-pied dans cette compagnie des beaux noms, des beaux esprits et des belles impures du temps. Il ne tenait qu’à lui de faire son chemin dans le monde désormais. — Pourtant, tout ce qu’il avait dit était la vérité ; il se regardait comme descendant de l’empereur Pertinax, et il venait de raconter ses amours pour une femme qui était morte quelques mois auparavant. — Comme c’était un cœur qui ne pouvait rester vide, l’amour idéal et tout poétique conçu pour Mlle Guéant l’avait peu à peu consolé de l’autre, dont l’impression était pourtant encore bien vive.

On donne une fin bizarre à ce souper, un dénouement assez usité alors du reste dans ces sortes de médianoches. À un signal donné, les lumières s’éteignirent, et une sorte de Colin-Maillard commença dans l’obscurité ; c’était, à ce qu’on croit, le but final de la fête, du moins pour les initiés, qui n’étaient point partis avec le commun des invités. Chacun avait le droit de reconduire la dame dont il s’était saisi dans l’ombre pendant cet instant de tumulte. Les amants en titre s’arrangeaient pour se reconnaître ; mais une fois fait, même au hasard, le choix devenait sacré. Nicolas, qui ne s’y attendait pas, sentit une main qui prenait la sienne et qui l’entraîna pendant quelques pas ; alors, on lui remit une autre main douce et frémis-