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contrée dans une partie de campagne. Il s’avança pour lui donner la main au moment où elle descendait de voiture. « Tiens, vous êtes aussi de la fête ? » dit-elle en le reconnaissant. Il allait répondre, quand Mlle Guéant, qui descendait à son tour, s’appuya légèrement sur son bras. L’impression fut telle que Nicolas ne put trouver un mot. En ce moment un colonel de dragons, qui venait au-devant des dames, dit en jetant les yeux sur lui : « Mademoiselle Guéant, voici un de vos plus fidèles admirateurs. » Il avait en effet vu souvent Nicolas au spectacle, applaudissant toujours avec transport la belle comédienne. Celle-ci se tourna vers le jeune homme, et lui dit avec son plus charmant sourire et son accent le plus pénétrant : « Je suis charmée, Monsieur, de vous trouver des nôtres. » Nicolas fut comme effrayé d’entendre pour la première fois cette voix si connue s’adresser à lui, de voir cette statue adorée descendue de son piédestal, vivre et sourire un instant pour lui seul. Il eut seulement la présence d’esprit de répondre : « Mademoiselle, je ne suis qu’un amateur charmé de rester pour vous admirer plus longtemps. »

Il y avait en lui un sentiment singulier qu’éprouvent tous ceux qui voient de près pour la première fois une femme de théâtre, c’est d’avoir à faire la connaissance d’une personne qu’ils connaissent si bien. On ne tarde pas à s’apercevoir le plus souvent que la différence est grande : la soubrette est sans esprit, la coquette est sans grâce, l’amoureuse est sans cœur, et puis la clarté qui monte de la rampe change tellement les physionomies ! Cependant Mlle Guéant triomphait de toutes ces chances fâcheuses. Nicolas restait pétrifié à la voir, avec son cou de neige et sa taille onduleuse, monter l’escalier au bras du colonel.

— Eh bien ! que faites-vous là ? dit Mlle Prudhomme ;