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était fort encombrée de laquais, de porteurs de chaises et de soupirants malheureux, qui, comme Nicolas, brûlaient d’un feu pudique pour telle ou telle de ces demoiselles. C’étaient généralement des courtauds de boutique, des étudiants ou des poètes honteux échappés du café Procope, où ils avaient écrit pendant l’entr’acte un madrigal ou un sonnet. Les gentilshommes, les robins, les commis des fermes et les gazetiers n’étaient pas réduits à cette extrémité. Ils pénétraient dans le théâtre, soit par faveur, soit par finance, et plus souvent accompagnaient les actrices jusque chez elles, au grand désespoir des assistants extérieurs.

C’est là que Nicolas venait s’enivrer du bonheur stérile d’admirer la taille élancée, le teint éblouissant, le pied charmant de la belle Guéant, qui d’ordinaire montait en chaise à cet endroit et se faisait porter directement chez elle. Nicolas avait pris l’habitude de la suivre jusque-là pour la voir descendre, et jamais il n’avait remarqué qu’elle se fît accompagner d’aucun cavalier. Il poussait souvent l’enfantillage jusqu’à se promener une partie de la nuit sous les fenêtres de l’actrice, épiant le jeu des lumières, les ombres sur les rideaux, comme si cela lui importait le moins du monde, à lui, pauvre enfant du peuple, vivant d’un état manuel, et qui n’oserait jamais, certes, aspirer à celle qui défendait sa porte aux financiers et aux seigneurs.

Un soir, à la sortie du théâtre, Mlle Guéant, au lieu de prendre sa chaise à porteurs, s’en alla à pied, donnant le bras à une de ses compagnes, traversa le passage, et, arrivée au bout, monta tout à coup dans une voiture qui l’attendait, et qui partit avec rapidité. Nicolas se mit à courir en la poursuivant ; les chevaux allaient si vite, qu’il ne tarda pas à être essoufflé. Dans les rues, ce n’é-