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Suisse par la Bourgogne. On ne dit pas qu’il s’y fût arrêté de nouveau à faire des discours aux faux saulniers.

L’évasion de l’abbé eut des suites très graves pour les prisonniers qui étaient restés à la Bastille. Jusque-là, c’était un diction populaire qu’on ne pouvait s’échapper de cette forteresse… Bernaville fut tellement troublé de cette aventure qu’il fit couper tous les arbres du jardin et des allées qui entouraient les remparts. Puis, ayant reçu avis par Corbé du moyen qu’employaient certains prisonniers pour communiquer avec le dehors, il fit tuer tous les pigeons et les corbeaux qui trouvaient asile au sommet des tours et jusqu’aux passereaux et aux rouges-gorges qui faisaient la consolation des prisonnières.

Corbé fut soupçonné de s’être laissé tromper dans sa surveillance par les cadeaux que lui faisait l’abbé de Bucquoy. De plus, sa conduite avec les prisonnières lui avait attiré déjà des reproches.

Il était devenu très amoureux de la femme d’un Irlandais nommé Odricot, enfermée à la Bastille sans que son mari même sût qu’elle existât si près de lui. Corbé et Giraut (l’aumônier) faisaient la cour à cette dame, qui devint grosse enfin… et l’on ne put savoir de qui était l’enfant.

Cependant Corbé se persuada qu’il était de lui seul, et parvint, par ses relations, à obtenir la grâce de la dame Odricot, qui était fort belle, quoique un peu rouge de cheveux. Corbé était très avare, au point qu’on lui attribuait la mort d’un ministre protestant, nommé Cardel, qu’il aurait laissé périr de faim pour hériter de quelques pièces d’argenterie que possédait ce pauvre homme. Mais la dame Odricot sut le dominer au point qu’il se ruina à lui donner un carrosse, des domestiques et tous les dehors d’une grande existence. Sur des plaintes assez