Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/7

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la rentrée des chambres du parlement. Raoul Spifame tenait une modeste place aux derniers rangs de l’assemblée, mêlé à la tourbe des légistes inférieurs, et portant pour toute décoration sa brassière de docteur en droit. Le roi était assis plus haut que le premier président, dans sa robe d’azur semée de France, et chacun admirait la noblesse et l’agrément de sa figure, malgré la pâleur maladive qui distinguait tous les princes de cette race. Le discours latin du vénérable chancelier fut très long ce jour-là. Les yeux distraits du prince, las de compter les fronts penchés de l’assemblée et les solives sculptées du plafond, s’arrêtèrent enfin longtemps sur un seul assistant placé tout à l’extrémité de la salle, et dont un rayon de soleil illuminait en plein la figure originale ; si bien que peu à peu tous les regards se dirigèrent aussi vers le point qui semblait exciter l’attention du prince. C’était Raoul Spifame qu’on examinait ainsi.

Il semblait au roi Henri II qu’un portrait fût placé en face de lui, qui reproduisait toute sa personne, en transformant seulement en noir ses vêtements splendides. Chacun fit de même cette remarque, que le jeune avocat ressemblait prodigieusement au roi, et, d’après la superstition qui fait croire que quelque temps avant de mourir on voit apparaître sa propre image sous un costume de deuil, le prince parut soucieux tout le reste de la séance. En sortant, il fit prendre des informations sur Raoul Spifame, et ne se rassura qu’en apprenant le nom, la position et l’origine avérés de son fantôme. Toutefois, il ne manifesta aucun désir de le connaître, et la guerre d’Italie, qui reprit peu de temps après, lui ôta de l’esprit cette singulière impression.

Quant à Raoul, depuis ce jour, il ne fut plus appelé par ses compagnons du barreau que Sire et Votre Ma-