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Or, monsieur le comte, comment est-il possible que j’aie écrit moi-même la contre-partie de mon madrigal… et encore, en ne conservant pas la mesure de l’avant-dernier vers ?

— Cela me paraît invraisemblable, dit l’abbé, je m’en assure, étant moi-même un poète aussi.

— Eh bien ! M. de Torcy m’a envoyé à la Bastille sur un si petit soupçon[1]… Cependant, j’étais appuyé par M. de Chamillard, auquel j’ai dédié des livres, et qui n’a cessé de me faire des offres de service.

— Quoi ! dit l’abbé, pensif, un madrigal peut conduire un homme à la Bastille ?

— Un madrigal ?… Mais un distique seulement peut en ouvrir les portes. Nous avons ici un jeune homme… dont les cheveux commencent à blanchir, il est vrai… qui pour un distique latin, s’est vu retenir longtemps aux îles Sainte-Marguerite : ensuite lorsque M. de Saint-Mars, qui avait gardé Fouquet et Lauzun, fut nommé gouverneur ici, il l’amena avec lui pour le faire changer d’air. Ce jeune homme, ou, si vous voulez, cet homme, avait été un des meilleurs élèves des jésuites.

— Et ils ne l’ont pas soutenu ?

— Voici ce qui est arrivé. Les jésuites avaient inscrit sur leur maison de Paris un distique latin, en l’honneur du Christ. Voulant plus tard s’assurer l’appui de la cour contre les attaques de certains robins ou cabalistes assez puissants, ils se résolurent à donner une grande représentation de tragédie avec chœurs, dans le genre de celles qu’autrefois on donnait à Saint-Cyr. Le roi et Mme de Maintenon accueillirent avec bienveillance leur invitation. Tout, dans cette fête, était conçu de manière à leur rap-

  1. Historique.